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Une guerre de sept ans
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La catastrophe du Boivre
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Portraits de guerre
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Echo d'un pays disparu
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Poche de Saint-Nazaire
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Extraits de " Poche de Saint-Nazaire "

Neuf mois d'une guerre oubliée

Geste-Editions 2017  ()

CHAPITRE I - POURQUOI LES POCHES DE L'ATLANTIQUE ?

C’est le 19 janvier 1944 qu’Hitler avait établi une liste de ports des côtes occidentales de l’Europe « à défendre jusqu’au dernier homme », et parmi eux, dix ports français. Or, quatre mois après le succès du débarquement allié en Normandie, la moitié seulement était tombée : Cherbourg, Saint-Malo, Le Havre, Calais, Boulogne et Brest. Pour venir à bout du premier de ces ports, il fallut trois semaines de rudes combats, et ce ne fut que le 1er juillet que le général Dollmann qualifié de « traître » consentit à hisser le drapeau blanc sur la forteresse de Cherbourg. Un mois plus tard, après avoir flétri à nouveau le général félon qui avait eu le bon goût de mourir entre temps, le Führer prenait une nouvelle directive devant les généraux Jodl et Warlimont, définissant la liste des ports à « défendre à tout prix, sans tenir aucun compte de ceux qui y vivent » et en leur demandant d’en confier le commandement aux officiers « les plus valeureux ». Après de telles directives, il deviendrait plus difficile pour les alliés d’investir les ports de la mer du Nord et de l’Atlantique au lendemain de la percée d’Avranches. À vrai dire, le seul à tomber encore sera celui de Brest après sept semaines d’enfer pour tous les protagonistes civils et militaires ; et le prix de sa libération – 10 000 victimes et un port quasiment détruit - apparaîtra suffisamment exorbitant pour ne pas renouveler l’expérience dans les cinq « poches » restantes : Dunkerque, Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle et Royan – Pointe de Grave. À la question plus spécifique : « Pourquoi les poches bretonnes » on pourrait simplifier la réponse en disant qu’elles furent la conséquence de deux volontés contraires : celle des alliés de ne pas s’attarder en Bretagne après l’avoir libérée au pas de course, celle des Allemands de ne pas abandonner sans combat ces forteresses imprenables par mer, transformées hâtivement en forteresses imprenables par terre. Devenues les tours crénelées les plus meurtrières de l’Atlantikwal, ces Festungen ne comportaient pas que des défenses inertes de béton mais abritaient aussi les meutes de sous-marins, cuirassés, destroyers, poseurs de mines et vedettes rapides, qui constituèrent pendant longtemps la protection mobile et insaisissable du dispositif. Leur défense demeurait donc rationnelle dans l’espoir d’un retournement d’alliance ou de la mise au point d’armes secrètes.

[...]

Malgré les 300 kilomètres séparant Avranches de Brest, Patton était pressé d’« aller prendre son bain » à la pointe du Finistère et avait donné cinq jours à ses généraux pour cette « mission de cavalerie ». Grow et sa 6ème division blindée prendraient Brest, le plus grand port militaire français, tandis que Wood et sa 4ème division investiraient Lorient, la fine fleur des bases sous-marines, l'enfant chéri de Doenitz et d'Hitler. Après la reddition des ports bretons, Saint-Nazaire deviendrait un objectif secondaire où l’ennemi ne serait plus très motivé et la troisième grande forteresse navale tomberait comme un fruit mûr ! Il ne resterait plus, dès lors, avec des arrières sécurisés et un ravitaillement assuré, qu'à se ruer vers l'Est… Paris, Strasbourg, le Rhin et le repaire du loup. Le pari était audacieux mais dans une dynamique d'offensive ne laissant aucun répit à l'adversaire, l'effet Blitzkrieg - comme quatre ans plus tôt, à nos dépens - pouvait déstabiliser les divisions allemandes sur le recul et démoraliser une troupe déjà sévèrement étrillée par la résistance locale.      

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Après les raisons politico-militaires expliquant la constitution de ces poches, reste à s’interroger sur leur longévité puisqu’elles allaient se maintenir jusqu’au 18 avril 1945 pour celle de Royan, 8 mai pour celle de La Rochelle, 10 mai pour celles de Dunkerque et Lorient, et 11 mai pour celle de Saint-Nazaire, c’est-à-dire trois jours après la capitulation allemande. Nous découvrirons qu’une partie des raisons évoquées plus haut continueront à jouer jusqu’à la reddition, d’autres se feront jour, mais surtout, l’importance stratégique de ces poches ne cessera de se dévaluer au fil des mois, et par conséquent, on hésitera toujours à y consacrer les moyens militaires permettant de les réduire, au grand dam du général de Gaulle.

À partir du 9 février 1945 et du nettoyage des derniers nids de résistance autour de Colmar, plus un seul soldat allemand sur le territoire national… Hormis dans les poches ! Et on a du mal aujourd’hui à mesurer la gravité de cette atteinte symbolique pour le général de Gaulle, mais aussi pour l’état-major des forces françaises et les soldats eux-mêmes, souhaitant combattre et capturer ces restes de l’armée allemande « à la régulière », sans attendre l’échéance d’une capitulation générale. Il en allait d’une forme d’honneur national, sans doute aussi d’une volonté de revanche, sinon de punition. On sait qu’ils en furent frustrés devant la plupart des poches, mais que la mission fut remplie pour celle de Royan dont il faut souligner le sort funeste. Son destin aurait en effet pu devenir la matrice du sort des autres poches et en précisant en annexe les enjeux, les étapes et les moyens mis en œuvre pour sa libération, on comprendra mieux les raisons de la sourde angoisse qui pesa sur les civils de la poche de Saint-Nazaire à partir de janvier 1945. En effet, en dépit de la chicaïa politico-militaire liée à la méfiance constante régissant les rapports du chef de la « France libre » avec des alliés un peu condescendants, de Gaulle n’eut de cesse de leur prouver que la nouvelle armée française pouvait, par ses propres moyens, reconquérir une partie de ces forteresses allemandes considérées par lui comme des échardes insupportables dans le grand corps national en cours de guérison. C’est ce qui explique son entêtement apparemment sans aucune raison militaire stratégique à vouloir libérer la poche de Royan. Reste à remarquer un curieux paradoxe : deux poches de l’Atlantique furent libérées de vive force, Brest et Royan ; le sort de toutes les autres en dériva deux fois, la première fois pour leur abandon à l’automne 1944, la seconde pour leur salut au printemps 1945 ...     

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CHAPITRE II - NANTES LIBEREE MALGRE TOUT

 

Nous avons vu que dès le jeudi 3 août 1944, les avant-gardes de Wood n’étaient plus qu'à une journée de marche de Nantes. La rumeur parcourait la ville : « C’est pour samedi… Ou pour dimanche » ! Le lendemain, on devint encore plus optimiste lorsqu’on apprit qu’« ils » étaient à Châteaubriant, Derval et Nozay… Ce soir, « ils » seraient ici ! Et on ne pouvait que s’en convaincre au spectacle de la rue envahie par la débandade allemande. Fernand Soil (qui fut le secrétaire général de la ville de 1938 à 1961) rapporte dans "Chroniques de l’été 44" que le 4 août, un employé français de la Feldkommandantur avait informé le maire de Nantes que tous les services allemands se préparaient à évacuer la ville, les Américains se trouvant à 40 kilomètres de Nantes… Et de fait, la garnison allemande de Nantes avait commencé à refluer vers le sud de la Loire par le pont de Pirmil ne laissant dans la ville que deux bataillons d'infanterie. On lit aussi dans "La guerre en Bretagne" de A. Perraud-Charmantier cette description haute en couleur : « Depuis le début de l’après-midi, l’armée allemande en déroute traverse la ville, arrivant par la route de Rennes ; spectacle comique, dont, par prudence, il ne faut pas rire trop haut : soldats à pied, s’appuyant sur des bâtons, harassés de fatigue, fiacres, charrettes de paysans volées, tirées par des chevaux fourbus. J’ai même vu deux charrettes tirées par des bœufs ; des charrettes à bœufs sont tirées par un cheval, ce qui met les occupants en équilibre instable. Les soldats de toutes armes sont mêlés ; les officiers sont passés les premiers, en voiture. Des hommes distribuent leurs vivres et même leurs armes pour s’alléger. Deux marins s’affalent rue de Rennes, en disant : "Wir warten die Amerikaner" (" Nous attendons les Américains" ! »).

On apprenait les libérations de Cherbourg, Saint Lô, Caen, Coutances, Granville, Avranches, Dôl, Dinan, Mortain, Fougères, Rennes… Pas toujours sans coup férir mais de façon inexorable, et la déferlante allait bientôt emporter aussi Nantes et Saint-Nazaire. Fernand Soil relevait encore : « Les gens discutent en groupes dans la ville très calme où ne circulent plus que de rares soldats allemands. À 15 heures, rue de Rennes, place du Port Communeau, les Nantais font la haie, attendant l’arrivée des Américains ». Perraud-Charmantier rapporte que, dès 13 heures, des groupes de civils se massaient au pont Morand et qu’ils ne cessèrent de grossir jusqu’à 16 heures, route de Rennes, rue Paul Bellamy, et surtout place du Port Communeau… « Des centaines de personnes sont là : certaines ont apporté leurs pliants et, discutant ou tricotant, regardent passer les Allemands, comme s’il s’agissait du défilé de la Mi-Carême. "Quand les Allemands auront fini de passer, ce sera les Américains", affirme une brave dame. »   

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Le 12 août, à partir de 16 h, on annonça pour de bon l’arrivée de la colonne américaine qui pénétra dans la ville un quart d’heure plus tard, composée de chars, d’auto mitrailleuses, de half-tracks et de Jeep portant des bâches réflectorisées de couleur lilas pour se signaler aux pilotes amis. D’après Louis Boyé, il s’agissait d’une colonne composée seulement de 200 à 300 hommes, avec 10 chars moyens équipés d’un canon de 47 et de deux mitrailleuses, de quelques automitrailleuses et de véhicules légers équipés d’une mitrailleuse. Une dizaine de FFI démineurs de l’équipe Georges Guinel ainsi que des gendarmes avaient eu le privilège de grimper dans les véhicules américains et partageaient avec eux les applaudissements. On descendit la rue Paul Bellamy, puis la rue de Strasbourg au milieu d’une double haie de Nantais joyeux, soulagés, mais peu exubérants et pas encore totalement rassurés, car l’ennemi continuait de camper sur la rive sud, derrière les ponts effondrés. Michel Chauty, jeune agent de liaison auprès de l'armée américaine, évoquait cette arrivée : « La ville était une montagne de ruines. Les gens étaient très heureux, mais ils ne manifestaient pas l'exubérance que nous avions connue en descendant la Normandie et l'Ille-et-Vilaine . » On se pressait pourtant place du Port Communeau pour partager une grande émotion collective, assortie d’un grand soulagement à la sortie de ce long tunnel de 1 515 jours d’occupation ponctués de tellement de drames.

Certains esprits s’échauffèrent au cours de l’après-midi, et Nantes n’échappa pas à ces misérables cérémonies expiatoires où on promenait des captives plus ou moins dénudées, comme du bétail, aux cris de « salope », « traînée » ou « paillasse à Boche ». Après les avoir couvertes d’insultes et de crachats, on les faisait alors monter sur une estrade où on ajoutait la croix gammée sur la poitrine et les fesses, puis les héros du jour empoignaient la tondeuse et rasaient à blanc ces filles qu’ils convoitaient peut-être encore la veille mais que l’Allemand leur avait pris... Comme 20 000 autres dans le pays ! C’est ainsi qu’on vit deux de ces malheureuses cernées par une foule vociférante et traînées de la rue Crébillon à la rue de Strasbourg. Fernand Soil rapporte sobrement : « L’une était brune, l’autre était blonde, ainsi qu’en témoignent leurs chevelures promenée au sommet de la hampe d’un drapeau français.      

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Les chicaneries, dissensions et règlements de compte se multiplieront aussi dans les instances dirigeantes de la Résistance et des FFI du département. En effet, Gilbert Grangeat, jeune chef militaire de 23 ans, avait bien conscience de porter un costume un peu grand pour lui. Il le reconnaîtra d’ailleurs dans un témoignage du 12 septembre 1999 cité par René Terrière dans "Nantes, ville libre" : «… Les Allemands étaient certes partis dans la nuit, nous laissant, si je puis dire, entre nous. D’un côté, les autorités légales françaises ; de l’autre, moi, prenant en quelque sorte en charge cette autorité. Mon pouvoir découlait de ma présence en cet instant au commandement d’un bataillon des FFI. Sans ordres, sans contacts avec une hiérarchie inconnue, je livrais, en manifestant mon autorité, Nantes et sa région à l’arbitraire de ma manière simpliste de voir les choses. Elle fut, par la force des choses, prudente, excessivement prudente, dira-t-on, dans l’attente qu’un échelon de commandement supérieur vînt à se substituer à moi ».

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Suite à l’ « accident » de Kinley et à l’arrestation de René Terrière, alias Xavier Dick, les FFI de Loire-Inférieure se trouvaient donc sans chef, et Koenig, via le colonel Eon, compléta l’organigramme en nommant à ce poste le 4 août 1944, Jacques Chombart de Lauwe, alias Félix. Ce notable conservateur, viscéralement anticommuniste, fut loin de faire l’unanimité auprès des chefs de groupe résistants qu’il allait devoir commander, jusqu’au moment où il sera déchargé de ce poste lors de l’arrivée du colonel Chomel sur le front de la Poche, le 30 novembre 1944. La reprise de fonction de Kinley allait d’ailleurs s’accompagner de multiples frictions avec Félix qui avait installé son poste de commandement à Châteaubriant tandis que le premier installait le sien à Nantes, où il continuait d’assurer le commandement de la région M3. Soupçonné par les résistants « historiques » d’être un résistant de la dernière heure, Félix sera défendu à son poste par Michel Debré, puis promu colonel le 8 novembre 1944 par de Gaulle, et il restera en charge de l’action militaire FFI au nord de la Loire sous l’autorité du colonel Chomel. On peut penser que cette nomination controversée devait plus à l’ancrage idéologique du personnage qu’à ses qualités proprement résistantes ou d’organisateur militaire et qu’il constitua une sorte de contrepoids à l’influence communiste. On découvrira en annexe que le portrait de ce responsable FFI reste encore bien incomplet et que les chercheurs en histoire contemporaine devraient y consacrer un peu de temps, car il semble bien que jusqu’ici on ait pudiquement détourné le regard de certaines pratiques.      

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CHAPITRE III - LA FORMATION DE LA POCHE DE SAINT-NAZAIRE

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On n’attendrait pas ici l’hécatombe de Brest pour voir retomber le fol espoir d'une libération intégrale de la Bretagne. Dès lors que Paris était libérée le 25 août 1944 et qu’on voyait la ruée vers l'est se poursuivre, on commença à comprendre dans les campagnes que l’état-major allié avait renoncé définitivement à prendre les dernières poches de l'Atlantique et on rangea les drapeaux tricolores sortis un peu hâtivement de la naphtaline. Un corps d'armée US réduit à la portion congrue suffirait à l'encerclement de ces poches pendant que les FFI monteraient une garde rapprochée en espérant des jours meilleurs.

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Cette volonté d’expansion sera surtout visible dans la « poche sud », illustrée par les deux offensives limitées de la mi-octobre et du 21 décembre 1944, mais elle s’exercera aussi dans la partie nord de la poche, surtout aux premiers mois. En effet, après les durs combats de retardement de la Roche-Bernard, le général Huenten, renforcé par les soldats en repli du général Junck, s’efforcera pendant tout l’automne 1944 d'élargir sa zone de défense en multipliant les incursions et les coups de main en zone libérée, jusque dans les marais de Redon et jusqu’à Blain et Plessé. C’est ainsi que dès la mi-août 1944, alors que ne subsistait plus aucun pont sur la Vilaine ni sur le canal de Nantes à Brest, les Allemands commencèrent à se livrer à des raids de corsaire à travers la Vilaine. Vers le petit bourg de Rieux par exemple…    

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Comme on le voit, les bataillons du Morbihan étaient bien occupés à empêcher les incursions allemandes entre Fégréac et l’embouchure de la Vilaine. Mais un autre secteur se trouvait encore plus exposé, celui s’étendant entre Fégréac et la Loire. Pour fermer de façon plus étanche cette partie nord-est de la poche, on manquait d’hommes et il fallait d’urgence mettre sur pied d’autres bataillons que celui de Gilbert Grangeat qui avait pourtant donné l’exemple. En effet, après avoir participé à la libération de Nantes, le 5ème bataillon s’était engagé auprès des Américains face aux positions encore occupées par les Allemands au-delà du bras de Pirmil, avant de venir colmater la brèche au nord de Nantes, en avant d’une ligne virtuelle courant du canal de Nantes à Brest jusqu’à la Loire. On avait pris position en avant de Saint-Étienne-de-Montluc, face à la gare de Cordemais, entre la Loire et le Temple-de-Bretagne tenu par les Américains de la 83ème DIUS, tandis qu’une batterie américaine de 105 complétait le dispositif.

Après que Félix eût envoyé 4 autres bataillons FFI en cours de formation aux côtés de celui de Grangeat, on tentait tant bien que mal de tenir les lignes du nord de la poche, ou plus exactement d’y patrouiller sans prendre trop de risques inutiles, étant donné la faiblesse numérique et la pauvreté de l’équipement. S’ils avaient entendu parler de Gilbert Grangeat et croisé déjà quelques soldats français, les villageois apprirent les noms d’autres chefs et d’autres unités : le commandant Jean Coché, par exemple, qui venait de disposer les 700 hommes de son 1er bataillon de marche dans le secteur de Plessé, ou encore Robert Cadiou, à la tête de son 2ème bataillon FTP, ou de Torquat à la tête du 3ème bataillon, et enfin Lasser à la tête du 6è bataillon. Mais, en dépit de la présence des FFI du Morbihan et de celle des Américains, comment suffirait-on à la tâche ? L’arrivée de bataillons « extérieurs » allait répondre à cette angoisse.

Le front nord de la poche allait être bientôt partagé en 4 secteurs principaux : « Vilaine », « Nord », « Secteur américain » et « Saint-Étienne-de-Montluc ». Celui de « la Vilaine », confié au commandant Caro dont le PC…      

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Une batterie américaine venait en appui du sous-secteur de Redon-Fégréac ; une autre, appelée Fox Battery, servie par les artilleurs français du lieutenant Doumerc appuyait le sous-secteur de Plessé - Guémené-Penfao, tandis que deux autres groupes d’artillerie, dont une batterie Dog, servie aussi par des artilleurs français formés par le capitaine Poupet, appuyaient les bataillons du Temple-de-Bretagne et de Saint-Étienne-de-Montluc. On enrichirait le parc à la mi-octobre par des lance-roquettes multiples T-27 montés sur camions et composés de 10 rangées de 8 lance-roquettes à déclanchement électrique.

La Loire-Inférieure de l’automne 1944 était désormais en dehors des grandes zones d'affrontement stratégique, mais pour autant, l’organisation d'une force de siège autour de la poche, alors que le reste du pays courait vers sa libération, n’était pas une sinécure. La situation au sud de l’estuaire était encore plus préoccupante qu’au nord car n’y stationnait aucune force alliée conséquente, et il fallait marquer d’urgence les limites de son réduit à un ennemi hésitant mais peu décidé à supporter le harcèlement de petits groupes ou d’individus hâtivement parés d’un brassard FFI. Alors que quelques dizaines de résistants locaux organisés par Pernet, Yacco, Fourré ou Pollono, s’épuisaient en patrouilles de reconnaissance et en coups de main de plus en plus risqués, pour eux et pour les villages traversés, on allait bientôt se réjouir du renfort de bataillons de Vendée, de l’Indre, de la Vienne, de la Haute-Vienne et d’Indre-et-Loire. Une force de 4 000 hommes qui allaient se déployer entre la forêt de Princé et la mer, répartis en neuf bataillons, deux escadrons et une compagnie d’accompagnement. Avec des noms évocateurs et romantiques, comme le bataillon « Le Chouan » en provenance de la Vienne, ou portant simplement le nom de leur chef, comme les bataillons Ricour, Sommet et Thomas, venant aussi de la Vienne. De Pringy commandait le bataillon « Patriarche » de la Haute-Vienne ; Le Brun, Aigreault et Legrand arrivaient de Vendée, les deux premiers à la tête de deux bataillons FFI, le dernier avec son bataillon FTP. Sans oublier le 7ème bataillon « Dominique » d’Indre-et-Loire, l’escadron Pasquier, le 1er GMR du capitaine Besnier et la compagnie d’accompagnement Bretteval.

C’était le lieutenant-colonel Claude qui supervisait le front sud-Loire à partir de son PC du Moulin-Henriette, à Sainte-Pazanne. Nous verrons plus loin que les chefs de ces unités connaîtront des destins divers, surtout à partir de janvier 1945, au gré des démissions pour raisons personnelles ou politiques, ou des incompatibilités d’humeur avec un état-major soucieux de rétablir au plus vite la « légalité républicaine ». Il s’agira en effet…

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Pour combler les trous dans la défense proprement militaire de la forteresse après le départ de la 275ème division d’infanterie, le général Huenten avait confié au vice-amiral Rother la tâche de transformer les centaines d’ouvriers qualifiés de la base en troupes de défense. En s’appuyant sur 21 officiers choisis parmi les cadres et recevant eux-mêmes une formation accélérée, Rother parvint à transformer 1 430 hommes sans expérience des armes en six compagnies d’infanterie, une compagnie de lutte contre l’incendie, une compagnie de transport automobile, une compagnie du génie et une compagnie de gardiennage. On compléta le dispositif par les équipages résiduels de U-Boote et les marins mis à terre, bien que ceux-ci fussent peu motivés et encore dépourvus de formation au combat terrestre.

Le 3 août 1944, alors que les blindés de Wood se trouvaient à Derval, c’est-à-dire à 50 kilomètres de Nantes et à 70 de Saint-Nazaire, Huenten se vit confirmer la directive d’Hitler et Jodl du 19 janvier 1944 consistant à défendre les « Festungen jusqu’au dernier homme » ; ce qui signifiait concrètement qu’il allait devoir accueillir et aider le général Junck et une partie de sa 265ème division d’infanterie sur le repli, sinon à contre attaquer, du moins à défendre la « forteresse ». Junck, en charge de la défense de la Bretagne sud, arrivait en effet de Redon dont il avait fait sauter les ponts sur la Vilaine avant de rallier Saint-Nazaire dans la nuit du 3 au 4 août, bientôt rejoint par un bataillon du 2ème régiment de parachutistes avec l’état-major du régiment, le personnel de la base aérienne de Meucon, deux groupes de Flack de Penmarc’h et de Rennes et un bataillon de la Luftwaffe.    

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CHAPITRE IV - EXACTIONS ALLEMANDES DANS LA POCHE SUD

 

Avant de faire le récit de trois épisodes dramatiques survenus au moment où se constituait la poche sud de Saint-Nazaire, une remarque liminaire s’impose : autant la fermeture de la poche nord de Saint-Nazaire dans ses limites définitives, a été rapide et quasiment effective dès le 15 août 1944, après la destruction du pont de la Roche-Bernard, autant la « poche sud » mit beaucoup de temps à se constituer et à se fermer. Ici, pas de frontière naturelle comme la Vilaine ou le canal de Nantes à Brest. À vrai dire, elle ne sera vraiment étanche qu’à partir de l’arrivée du 8ème Cuirs à la fin novembre, et encore ses limites seront-elles repoussées par les Allemands à deux reprises : à la mi-octobre et à Noël 1944 ; et c’est sans doute cette porosité et cette incertitude sur la possibilité pour les Allemands de s’y maintenir qui expliquent un certain nombre d’incidents violents et d’exactions comme celles que nous allons décrire à Pornic le 26 août, Frossay le 10 septembre, et Paimbœuf le 12 septembre 1944. À travers ces récits détaillés, parfois heure par heure, il s’agit de découvrir non seulement la mécanique de chacun de ces drames mais aussi les éléments d’ambiance et le climat angoissant pesant sur les populations empochées.

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Dans ce réduit de la poche sud encore mal défini, allaient donc se trouver enfermée une troupe hétéroclite de marins et sous-mariniers, fantassins survivants de la fournaise normande… Des Allemands, des Polonais, des Tchèques, des Roumains, des Italiens, mais aussi toute une palette de peuples slaves ou d’Asie centrale relevant du glacis soviétique, baptisés Osttruppen par les Allemands et plus familièrement « Russes blancs » par les civils français ayant à subir leur présence : Ukrainiens, Géorgiens, Tatars, Mongols… Plusieurs milliers de « malgré nous » méprisés par le commandement allemand et réduits souvent à des tâches subalternes, mais encore armés et redoutables, aussi bien pour les populations civiles que pour leurs tuteurs s’ils en venaient à retourner leurs armes. On assistait en effet à des velléités de désertion, voire de sédition, de certaines troupes supplétives ; c’est ainsi que quelques jours avant la libération de Nantes, on avait vu Wassilitch Sakanoïev, dit Ladow, ancien instituteur à Kiev, puis lieutenant de l’armée Rouge capturé à Karkhov et enrôlé de force dans l’armée Vlassov, abattre son capitaine et rejoindre le maquis de Princé avec son arme. On allait déplorer aussi pendant ces premières semaines de poche de nombreuses exactions des troupes allemandes ou supplétives : vols, meurtres, viols… Et c’est dans ce cadre militaire et psychologique complexe qu’il faut inscrire « l’affaire Pollono » et des otages de Pornic que l’on va aborder maintenant...      

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Au cours du repas chez les Loukianoff, Potiereyka avait demandé qu’on organisât une entrevue avec les responsables militaires de la région nantaise, ou pour le moins, des assurances en cas de reddition en masse sous son commandement. Albert Rabiller, FFI du groupe de Touvois et boucher au centre d’abattage de Saint-Père-en-Retz, soumit cette demande à Fred Payen commandant le 10ème bataillon de La Montagne le vendredi 1er septembre à 9 h 30. Celui-ci en avisa le capitaine Grangeat à Nantes et recommanda à Rabiller de vérifier les intentions des Russes en se faisant accompagner par l’interprète roumain Barkovitch alias Mickey. Si les volontés de Potiereyka s’avéraient crédibles et sincères, les deux hommes devaient assurer les Russes qu’ « ils trouveraient des troupes régulières disposées à les accueillir en amis et non en ennemis s’ils se dirigeaient vers Sainte-Pazanne et La Montagne » ! Cette proposition faite le samedi soir 2 septembre ne reçut pas de réponse ferme de la part des Russes qui ne souhaitèrent communiquer ni date ni heure de départ de leurs cantonnements. Cependant, la méfiance allemande s’accentuant, Potiereyka craignait de se voir arrêté et désarmé avec ses hommes, et il décida donc de brûler ses vaisseaux sans attendre un accord explicite. C’est alors qu’elles étaient déjà sur les routes que les colonnes russes eurent vent de la consigne de Fred Payen : « Dirigez-vous vers l’est. Entre le lac de Grandlieu et la Loire, vous croiserez des troupes françaises qui accepteront votre reddition ». Consignes dignes d’un grand jeu de piste, mais bien peu précises sur la nature et les conditions de cette reddition !

… C’est alors que certaines compagnies en provenance des campements de Pornic et Saint-Père-en-Retz parvinrent à Chauvé, tandis que les Russes de la Donoire étaient cernés et désarmés, de même que les groupes de Saint-Brévin, enfermés dans des blockhaus. De nombreux habitants se souviennent du passage de ces soldats tellement redoutés, dont les éléments les plus affamés ou les moins encadrés se livraient la veille encore au pillage et au viol. C’est au soir du 3 septembre et durant toute la nuit que partirent les groupes les plus importants. Dans la nuit du 3 au 4 septembre 1944, le champ de foire de Chauvé servit ainsi d’aire de regroupement et de repos à des colonnes calmes et silencieuses qui allaient bientôt se relancer sur les routes, vers Vue mais surtout vers Arthon, Cheméré et Port-Saint-Père. Étonnantes images de caravansérail sous la lune, animées de chevaux, de mules et d’attelages. On entendait le cliquetis des éperons. Malgré la saison, des hommes étaient drapés de leurs grands manteaux ou de leurs vestes de cuir ; certains portaient des bottes traditionnelles cosaques, des toques ou des chapkas de fourrure ; d’autres avaient des crânes rasés surmontés d’une tresse ; on voyait des ceintures tressées d’où pendaient des sabres…      

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Le ton était monté… Rondineau avait sorti le revolver de la musette. Des détonations ! L'une des sentinelles se retrouva à terre, une balle dans le genou. L’autre, pour se dégager, avait balancé la grenade glissée dans son ceinturon. Rondineau hurlait de douleur, les jambes éclatées et un bras déchiqueté. On battit en retraite vers les vignes, après avoir traîné Rondineau dans le taillis de l'Oeil et cherché du secours auprès des paysans travaillant dans les champs. Martin, qui n'était que légèrement blessé au front, courut vers le village de la Trochelais où il cacha arme et cartouches au fond d'un pot de fleurs. Quant au troisième homme, il avait gagné les marais et s'était évanoui sur une barque entre les roseaux. Pendant ce temps, les deux Allemands avaient rejoint leur cantonnement où le lieutenant Kretzchmar furieux organisa aussitôt une patrouille de recherche. Après les désertions de Russes blancs et le coup de main de Frossay, pas question de laisser s'installer l'insécurité dans cette zone sensible traversée par la route Nantes-Saint-Brévin.

[...]

Il arriva vers 18 heures. Discussions terminées. En avant vers le Moulin Neuf. Et tant qu'on n'aurait pas trouvé les « terroristes », on embarquait aussi le secouriste et Gaby Lecorps, le jeune ramasseur de patates, et tous ceux qui traînaient dans les champs ou les chemins : le père Labbé, un cantonnier du Moulin Rouge qui dut abandonner sur le talus fourche et faucille puis, tout au long de la montée vers le Moulin Neuf, le charpentier Eveillard, le marin Paul Foucher, des « ravitailleurs » et des réfugiés en maraude et même M. Jean, le receveur des postes de Paimbœuf, avec sa voiture à cheval. La petite troupe marchait en silence derrière la karikelle brinquebalante. Blême, la culotte déchirée sur ses jambes déchiquetées, Rondineau grimaçait à chaque chaos. Visages furtifs derrière les rideaux et dans les encoignures de granges. Dans une cour, une jeune fille rinçait sa lessive.

… Alors que Kretzchmar s'apprêtait à retourner à sa besogne, on lui ramena le deuxième « terroriste » !… Germaine Chupin, la jeune lavandière se souvient… « Tout le monde connaissait Martin ; avant-guerre, il avait travaillé à la carrière de la Prochelais ». Après avoir planqué son arme, il avait cherché aide et protection ; d’abord chez la mère Boucard qui avait le don d’« arrêter le sang »… « Elle a fait ce qu’elle a pu ». Puis, le béret rabattu bien bas sur son front ensanglanté, il avait couru chez Suzanne Soreau, refugiée de Paimbœuf à la Profissais : « J’ai fait une connerie ! Tiens, prends ma montre, tu la donneras à ma femme ». Se sentant déjà perdu, il s’était jeté à nouveau dans le chemin où galopaient les Allemands perquisitionnant chaque maison et interrogeant chaque passant. « Halt »… ! Celui-ci ne revenait pas des patates ! On avait remonté son béret du bout du canon… Les cheveux étaient collés à la plaie.      

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CHAPITRE VI - COMBATS ET VIE QUOTIDIENNE DANS LA POCHE NORD

La poche nord de Saint-Nazaire se constitua graduellement au cours des deux premières semaines d’août 1944. D’abord réduite aux défenses extérieures de la base sous-marine, puis aux routes d’accès de la ville de Saint-Nazaire, elle s’étendit rapidement vers les limites naturelles de la Vilaine et du canal de Nantes à Brest, tout en s’efforçant à l’est de fermer les accès routiers entre Blain et la Loire. On pourrait d’ailleurs dater assez précisément la décision stratégique allemande concernant les lignes de défense extérieures de la Festung Saint-Nazaire. Nous avons vu en effet que le 3 août 1944, après avoir couru d’Avranches à Derval en trois jours, la 3ème armée US avait fait la pause, avant sa reculade et son détour par Lorient. Dès lors que les généraux Huenten et Junck eurent conscience de cette hésitation, c’est-à-dire à partir du 5 août, ils la mirent à profit pour fermer les portes d’entrée les plus évidentes sur les deux lignes de défense principales : entre Blain et l’embouchure de la Vilaine au nord, entre Blain et la Loire à l'est. Ce fut donc sur ces lignes très vite définies que se frottèrent les assiégeants et les assiégés avant même la libération de Nantes du 12 août 1944.

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Le même jour, 10 août 1944, à Notre-Dame-de-Grâce, trois jeunes cyclistes en provenance de Saint-Joachim et en tournée de ravitaillement avaient trouvé porte close à la boulangerie. Dépités, ils avaient fait la pause dans un bistrot où on leur avait déconseillé de poursuivre leur tournée, car, depuis la veille, s’était installé dans le secteur un groupe de paras, des anciens de l’Afrika-Korps. Fernand Vince, Fernand Agaisse et André Guichard voulurent pourtant tenter leur chance vers Plessé et présentèrent leurs papiers à la sentinelle du pont de Melneuf. Mais ces papiers n’étant pas conformes à l’attente du planton, on conduisit les trois hommes pour un contrôle plus serré auprès du lieutenant Fritz Eitz à la Kommandantur du bourg installée au presbytère. Eitz jeta les papiers au feu, et, après un simulacre de jugement les fit sortir sous la garde de quatre soldats. En passant devant le café de la Paix, on chargea les prisonniers de pelles et de pioches, puis, fusils dans le dos, on les poussa sur la route de la rivière. Parvenus à la hauteur de Juzan, aux abords du canal, un des gardiens trébucha en se prenant les pieds dans un fil de fer et Fernand Agaisse en profita pour s’enfuir sous une pluie de balles qui ne l’atteignirent pas. Fernand Vince et André Guichard furent alors contraints de creuser leur tombe, et comme on avait épuisé les balles, Eitz les tua à coups de pioche avant de les faire enterrer sur place. Fernand Vince avait 20 ans et André Guichard, 25 ans. Le lendemain, alors que Eitz et son escouade venaient de franchir le pont de Melneuf pour piller « en France », ils étaient signalés aux FFI par Léon Millet, un meunier du Breil. Une auto mitrailleuse et deux Jeeps avaient alors cerné le champ de blé où ils s’étaient réfugiés, que l’on grenada et mitrailla, tuant neuf soldats dont le quarteron de tueurs de la veille. Seul Eitz en réchappa… Mais pour quelques mois seulement, car après s’être rendu aux Américains à la fin du mois d’avril 1945, il sera reconnu par les Français dans un camp de prisonniers et exécuté.  

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Les Américains étaient désormais bien là, de l’autre côté du canal, mais pour les habitants des deux rives, libérés ou pas, quelle différence ? La guerre continuait. On voyait les hommes de la 94ème Division d’infanterie US se déployer de Saint-Omer jusqu’à Blain, par la Pessuais, Bougarre, la Suardais ; c’est à la hauteur de Bougarre que leurs lignes bifurquaient vers Cordemais à partir du pont sur l’Isac, par la Réauté et la Désertais, contournant Bouvron pour s’enfoncer entre le Temple-de-Bretagne et Malville, jusqu’à Cordemais et à la Loire. Ils n’avaient eu de cesse, et dès leur arrivée, d’arroser d’obus les positions allemandes pour les repousser au-delà d’un no man’s land d’environ cinq kilomètres, courant à travers la lande. C’est ainsi qu’avaient été bombardées les fermes du hameau de Fession, au sud de Saint-Omer - prélude à la destruction de centaines de fermes - contraignant les paysans à s’exiler hors de la poche, en contournant les champs de mines, ou vers l’intérieur, quand ils pouvaient encore y trouver un accueil. Après que les Américains en eurent délogé les Allemands, on expulsa aussi les habitants du domaine et des fermes autour de Pont Piétin où un minage systématique avait rendu trop dangereuse la fréquentation des chemins et des champs.

Quand ce n’était pas les Américains, c’était les Allemands qui ordonnaient l’évacuation. Deux heures pour partir, et parfois moins !

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Les blockhaus les plus élaborés comportaient trois pièces et étaient recouverts de deux ou trois couches croisées de troncs d’arbres sur lesquels on avait disposé des tôles, avec une légère pente, recouvertes de pierres constituant une couche d’éclatement. Une bonne couche de terre par-dessus, et pour camoufler le tout, des plaques de gazon soigneusement découpées et ajustées, reconstituant peu à peu une continuité végétale avec l’environnement. Ces fortins comportaient sur toute leur longueur une banquette de tir, large de 1,20 m, permettant de se poster devant deux ou trois créneaux de 80 cm à 1 m de largeur par 30 à 40 cm de hauteur, dont les embrasures en évasement permettaient de croiser les tirs avec les postes voisins. Un mur de terre compacte d’environ 1,20 m à 1,50 m d’épaisseur et recouvert de clayes, séparait la banquette de tir de la « salle de séjour ». Une petite porte rendue totalement étanche à la lumière par deux couvertures, et soigneusement décalée par rapport aux créneaux, permettait de communiquer entre les deux pièces.

Deux jours plus tôt, le blockhaus du sergent Demars avait déjà été attaqué par une patrouille allemande ; le jeune Mineau avait eu le cuir chevelu labouré par une balle mais avait refusé d’être évacué à l’arrière. Le fortin était mal placé, trop près d’une ligne de gros pins s’arrêtant à 10 mètres que l’on avait fait sauter sur une profondeur de 50 mètres ; une dizaine de paires de bœufs prêtés par les cultivateurs avaient permis de débarder tous les troncs vers l’arrière ; on avait arasé les souches à l’herminette et renforcé l’armement du blockhaus et des fortins voisins. Et voilà que Demars venait d’entendre des Allemands qui parlaient dans la nuit ! Juste le temps de prévenir par téléphone le capitaine Griette qui avait appelé Coché à son PC de Guémené-Penfao. La bagarre venait déjà de commencer. Un coup de bazooka s’était engouffré dans l’embrasure du blockhaus, tuant le sergent Demars et deux autres soldats dont le jeune Mineau. Le caporal Betencourt était blessé à la main derrière son fusil mitrailleur et ne pouvait plus tirer que coup par coup ; le cinquième homme était parti chercher des grenades. Un chef de section parvint à se glisser dans un fortin désaffecté où il avait de l’eau jusqu’au ventre mais où il put prendre à revers la compagnie allemande, tandis que les fortins voisins croisaient aussi leurs feux. Coché entendait Griette au téléphone : « J’entends des hurlements, ils appellent Dieu et leur mère. C’est atroce, mais je crois qu’ils ont compris ».    

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CHAPITRE VII - L’OFFENSIVE ALLEMANDE DU 21 DECEMBRE 1944

 

On se faufila hors de l’église, croyant pouvoir s’échapper à temps, mais déjà deux colonnes encadraient silencieusement l’édifice et grimpaient vers le village de la Roulais. Là-haut, le capitaine Dolbec et ses 70 hommes ne se doutaient de rien… La sentinelle avait cru voir arriver un groupe de travailleurs, mais les premières salves le contraignirent à la riposte et il déchaîna sa mitrailleuse contre les assaillants, d’abord repoussés vers le bourg. Mais ceux-ci étaient en nombre, au mois 150, et bien armés. On allait tenir encore un peu, le temps de se replier en bon ordre, mais on ne faisait pas le poids… Commençaient trois jours de combat, d’angoisse et de mort, prélude à l’exode de centaines de familles.

Cette offensive allemande du 21 décembre 1944 fut le point d’orgue militaire de ces neuf mois de poche. Elle se développa à partir des bourgs de Pornic, Saint-Père-en-Retz, Saint-Viaud et Frossay où étaient cantonnées les réserves et la relève des troupes de première ligne, en particulier les hommes de Josephi à Pornic, de Brinkmaïer, Emminger et Leptien à Saint-Père-en-Retz, de Würffel à Frossay, appuyés par l’artillerie de Bald aux Biais de Schmidt-Wullfen à la butte des Pins de Frossay, mais aussi par quelques unités navales en baie de Bourgneuf, quelques canonnières sur la Loire, et par la très poétique et néanmoins très redoutable galerie aquatique des canons et postes de Flak répartis le long de l’estuaire . Sur le secteur de La Sicaudais, le bataillon Brinkmaïer allait mener l’offensive avec trois compagnies rassemblant environ 400 hommes dont la moitié de marins reconvertis au combat d’infanterie ; leur armement était somme toute limité, puisqu’en dehors des armes individuelles, ils ne disposaient que de trois dizaines de mitrailleuses dont deux mitrailleuses lourdes, une demi-douzaine de canons de Flak de 20 mm, autant de mortiers, deux canons de 88 et un canon de 50.

Du côté français, les semaines précédant cette attaque, et encore plus celles qui la suivraient, allaient s’accompagner d’une réorganisation et d’un renforcement général de l’artillerie battant les lignes de défense allemandes. Une semaine avant l’attaque, on avait en effet mis sur pied le 20ème régiment d’artillerie divisionnaire (20ème RAD) constitué de 4 groupes d’artillerie dont deux au sud : le 2ème groupe du capitaine Koch dans le secteur de Bourgneuf et le 4ème du commandant Doudies dans celui de Port-Saint-Père, dotés chacun de trois batteries. C’est ainsi que dès le lendemain de l’offensive du 21 décembre 1944, allaient s’installer une batterie à Arthon et une autre à la Barre de Vue, tandis qu’à la mi-mars s’installerait une dernière batterie dans la forêt de Princé. Le 20ème RAD était essentiellement équipé de canons de 75 et de 105 allemands qui allaient tonner jusqu’à la libération, sans objectif militaire précis sinon de marquer une emprise psychologique sur l’occupant et de couvrir les relèves des bataillons français.  

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À Arthon, on avait sonné le réveil à 5 h 30, et dès les premières salves de marine, Besnier avait sauté dans sa voiture et était parti sur les hauteurs du Port puis avait regagné Arthon où il reçut deux ordres simultanés et contradictoires émanant du commandant André et du colonel Rochard : « Se rendre à La Feuillardais avec tous les moyens disponibles » et « se rendre en réserve à La Bernerie, à la disposition du commandant Aigrault ». Besnier convint avec Mazarguil qui avait reçu les mêmes ordres de se partager entre les deux objectifs, le premier vers Chauvé, le second vers La Bernerie. On constatait que les Allemands s’infiltraient partout. Stoppé par des rafales de mitrailleuses aux abords du Poirier, Besnier était revenu en hâte vers ses engins qui l'attendaient à la sortie du bourg d'Arthon. Il envoya vers le Poirier une auto mitrailleuse dans laquelle avaient embarqué le sergent-chef Hubert Hardy, Xavier Blanchard, Jean Feutren et Yves Bichon. La bise était glaciale, le sol couvert de givre et leur engin ne tournait que sur trois pattes. Un camion de troupes les suivait avec ordre de reconnaître les positions et les effectifs ennemis. Cette section une fois débarquée serait divisée en deux groupes aux ordres des sous-lieutenants Lionel et Le Menn. Au Pas-Moreau, ils croisèrent un soldat qui leur annonça l'avance de 4 000 Allemands sur Arthon !!!… Ça tonnait de partout mais pourtant le Poirier fut dépassé sans encombre par l’auto mitrailleuse qui atteignit les abords de La Feuillardais.

Dès son arrivée sur le terrain, Chomel envoya deux patrouilles mixtes, motos et auto-mitrailleuses, vers le Poirier et vers La Feuillardais où le corps franc de Pollono rattaché à la compagnie Bretteval tenait le carrefour. Ce matin, sa chenillette n’était pas bien vaillante et il avait fallu les bœufs du père Renaud au Baudrier pour la démarrer. Il descendit de son engin, sauta dans la tourelle de l’auto mitrailleuse d’Hardy, et la patrouille repartit lentement vers La Sicaudais.

CHAPITRE VIII - LA SICAUDAIS, UN PETIT BOURG RURAL DANS LA GUERRE

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Sur un arc quasiment parallèle d’une longueur d’environ 25 kilomètres, après avoir stoppé leur repli, les Français avaient établi une nouvelle ligne de défense partant du pont-barrage des Champs Neufs, c’est-à-dire à environ 2,5 kilomètres des lignes allemandes, pour gagner les Gannes sur la levée des Hautes Angles en contournant l’île Adet, puis l’Oisilière, avant de traverser par le Pigeonnier la route de Paimbœuf à Vue, de gagner le village de la Brosse et de remonter vers le grand moulin de la cote 40 face aux positions allemandes de la Claverie et de la Roulais. Par le Fossé Mornais, les lignes françaises atteignaient ensuite le village du Prépaud, les Dodinières, le bois d’Ortail, traversaient la voie ferrée pour atteindre La Feuillardais, la Briqueterie neuve avant de rejoindre Chauvé. On descendait alors par Haute et Basse Chanterie vers le Marais Héry d’où on piquait vers l’est et le pont de Haute-Perche que l’on traversait pour gagner la Méchinière au sud du canal, avant de rejoindre le village du Port, de se diriger vers l’ouest en occupant tous les villages situés au sud du canal entre le pont de Haute-Perche et celui du Clion, puis de redescendre vers la mer et la Fontaine aux Bretons.

Les batteries allemandes les plus puissantes étaient disposées au village de l’Épinerie, c’est-à-dire au foyer de l’arc, ce qui leur permettait de battre toutes les lignes adverses, de la Loire jusqu’à la mer. Vers l’avant, les Allemands disposaient d’autres bouches à feu plus légères et plus mobiles, près du cimetière de La Sicaudais, à la Prauderie où on surveillait la route de Chauvé, au Coprès et à Beausoleil où on pointait le grand moulin de la cote 40. On disposait aussi de canons sur la butte des Pins et à la Ville-Aubert à Frossay, dominant la Pré de Tenue et permettant d’échanger quelques tirs avec les batteries françaises de Cordemais. Leurs postes de guet privilégiés furent installés à la cime de grands arbres, comme au Loup pendu où ils accédaient à un plancher suspendu et camouflé dans le houppier par deux échelles successives. De ce hunier vertigineux, ils observèrent jusqu’aux dernières semaines…

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C’est à l’issue de l’offensive allemande de Noël 1944 que le jeune lieutenant allemand Rudolf Winter avait posé son sac au Bois Hamon, dans la maison de Constant Corbé. Il partageait les lieux avec le commandant Gustav Brinkmaïer, inspecteur d’académie de 50 ans, originaire de Braunschweig, le caporal Karl Wrontz alias « Le singe », ordonnance du commandant, un chauffeur et, de temps en temps, un officier de liaison. Cet état-major de campagne disposait d’une voiture et d’une moto qui ne feraient pas un tour de roue car privées d’essence. Dans la maison voisine, chez François Baconnais, étaient cantonnés 6 hommes : le sergent Emmanuel Babetsky, employé des chemins de fer ; Helmut Wichmann, restaurateur ; Karl Reising, alias « Dent en or », fonctionnaire ; Ernst, alias « Beurre de lait » ; l’infirmier Coco, un rondouillard avec un brassard à croix rouge et un Bauer au nom oublié. Ces 6 hommes étaient les gardiens du village et se relayaient jour et nuit sur le seuil du commandant, devant le dépôt de munitions et aux deux bouts du chemin. Chez Auguste Fillodeau, c’était Karl Worms et un autre Bauer ; dans une casemate édifiée dans l’aire de la ferme Chalmel, deux radio-télégraphistes de la marine ; le sergent Hans Dewenter et le soldat Chabakha chez Léon Tellier. Au total 17 soldats et officiers d’infanterie et de marine installés dans 6 maisons : une sorte de précipité de société allemande retombé au bout de cinq ans de guerre dans un prototype de village français.

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Baumann avait fait installer un système de défenses au-dessus de la Rivière-Mulon, face à Chauvé ; pendant des semaines, on avait entendu les harpons, les marteaux, les haches et les cognées se mêlant aux départs d’obus et aux tirs des armes automatiques. Des tranchées reliaient les abris entre eux ; un fortin protégé de sacs de terre et de troncs d’arbres avait été construit dans la cour où se réfugieraient en cas d’alerte, civils et soldats. Des lignes téléphoniques couraient les chemins de campagne, reliant les PC de compagnie de village à village, entre Baumann à la Prauderie, Brinkmaïer au Bois Hamon, Bald aux Biais, Würfel à Frossay, Emminger et Leptin à Saint-Père-en-Retz, Josephi à la Brenière… Kaessberg à Saint-Brévin… et Huenten et Junk à Saint-Nazaire. De temps en temps, ça ne passait plus, un saboteur avait coupé le fil !

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CHAPITRE X - RAVITAILLEMENT, REQUISITIONS ET EVACUATIONS

Après avoir procédé à l’évaluation de leurs propres réserves et des possibilités de réquisitions agricoles, les Allemands furent assez vite rassurés sur la survie alimentaire à court terme de leurs troupes. Lors d’une réunion d’état-major tenue à la fin août 1944, le vice-amiral Rother, responsable des chantiers de marine, avait d’abord estimé que les réserves de soute permettraient à sa garnison de tenir 52 jours : on pouvait compter sur des stocks très abondants de conserves extraites des unités navigantes désarmées, y compris des sous-marins, et on disposait des vivres rapportés par le général Junck du dépôt de Redon. Mais les Allemands étaient bien conscients qu’en cas de siège prolongé, il faudrait partager avec les civils et que la réquisition risquait alors d’être de plus en plus mal supportée et d’entraîner des tensions et des troubles. C’est pourquoi, dès le début du mois de septembre 1944, la poche à peine refermée, ils souhaitèrent, comme à Lorient et à Dunkerque, se débarrasser des « bouches inutiles » et procéder à des évacuations de civils.

En dehors des conserves allemandes, toutes les réserves alimentaires provenaient bien sûr des champs, vignes et étables des cultivateurs de la poche, nord et sud de l’estuaire ; et singulièrement du sud pour ce qui était des céréales et du vin, car si la zone nord abritait beaucoup de bovins, elle comportait peu de terres à blé et encore moins de vignes. Aussi, chaque jour, le bac de Mindin qui fonctionna pendant toute la durée de la poche, mais aussi d’autres bateaux faisant la navette avec Paimbœuf, permirent-ils de transférer des ressources du sud au nord : céréales, viande, vin… Et jusqu’au fourrage des chevaux…

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Ordre fut aussi donné de réquisitionner au plus vite les céréales de la zone empochée, et de les transformer en farine dans les moulins de la base. C’est ainsi qu’à titre d’exemple la réquisition pour la poche nord au mois de septembre 1944 s’élevait à 100 tonnes, tandis qu’elle s’élevait à 50 tonnes pour la seule poche sud au mois de novembre. À la fin septembre on avait accru suffisamment les réserves alimentaires de la poche pour tenir un siège de 13 mois, et on allait même pouvoir se montrer généreux en exfiltrant de la farine et de la viande vers la poche sœur de Lorient, grâce à des navettes de sous-marins baptisés « Nebelboot » ou « bateaux brouillard ».

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Les problèmes de la viande, de la farine, du vin, du bois, des fourrages et accessoirement des patates, étaient des casse-têtes permanents car il fallait rechercher constamment le point d’équilibre entre les besoins des populations - y compris des réfugiés - et les exigences allemandes. La situation de pénurie relative, ajoutée à certains stockages clandestins et à des « évaporations » plus ou moins massives au profit de l’occupant ou des « margoulins » du nord, favorisaient une tendance constante à la hausse des prix. Il fallait donc non seulement taxer, mais aussi maintenir sans cesse les gendarmes sur les routes, menacer, punir parfois, et compter surtout sur l’intelligence et le doigté des édiles locaux… Et, quand bien même il serait noir, fournir à chacun son pain quotidien !

La bonne gestion du présent ne devait pas non plus hypothéquer l’avenir ; ce qui amena par exemple le lieutenant Bouhard à recommander aux paysans de garder moins de bêtes à la ferme pour permettre d'avoir des bêtes plus grasses, la nourriture faisant défaut… Mais de « conserver à tout prix les animaux reproducteurs et de travail ainsi que les vaches laitières ». Dans le même temps, on voyait le FestungKommandant, soucieux lui aussi d’harmoniser la nourriture des bêtes et des gens, édicter ses propres règlements sur le nourrissage des veaux…

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En effet, au fil des semaines, cette première évacuation apparaîtra vite insuffisante aux Allemands qui redoutaient des émeutes de la faim. L’état-major se réunit à nouveau pour discuter des modalités d’une évacuation de 50 000 civils ! À choisir parmi les professions non alimentaires ou non productives, excluant donc les cultivateurs, les meuniers, les bouchers, les boulangers… De préférence des populations du littoral sans ressources, mais aussi des enfants et des personnes fragiles ou malades. Cependant, cette évacuation de masse allait poser aux deux camps des problèmes complexes tant du point de vue militaire et sécuritaire que logistique. L’état-major allemand lui-même n’était pas unanime. C’est ainsi que le responsable du renseignement, le capitaine Schmuck, redoutait de voir les évacués communiquer aux alliés toutes les données de son dispositif de défense : effectifs, emplacements, routines diverses et jusqu’au moral de ses troupes… Tandis que le chef d’état-major, le colonel Pinski, chez qui se déroulait la rencontre dans sa villa Aeraki à La Baule, s’interrogeait sur les portes de sortie à proposer et sur les moyens de transport à mettre en œuvre, quand bien même une faible partie des évacués pourrait partir à pied.

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Et pourquoi pas avec des trains qui arriveraient à Cordemais chargés de vivres et de médicaments, ceux-là mêmes que nous avons évoqués plus haut. Ce fut pourtant la décision pragmatique qui fut bel et bien prise par Junck et qui permit d’évacuer non pas 50 000 empochés mais moins de 20 000. Les premiers entre le 23 et le 28 octobre 1944 : 6 trains de 1200 personnes partant du Croisic, de Saint-Gildas-des-Bois et de Savenay.

L’affaire allait être aussi âprement disputée du côte allié, en particulier dans certains cercles de commandement où il fallait bien évoquer une forme rampante de méfiance et même de mépris par rapport à ces « empochés préférant les Boches à la liberté » ! N’allait-on pas, en ouvrant les vannes de l’évacuation, se priver d’une arme silencieuse et redoutable, celle de la pression alimentaire et psychologique constituée par cette masse de civils collant aux basques de l’occupant ?

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CHAPITRE XI - VERS LA LIBERATION DE LA POCHE DE SAINT-NAZAIRE

Aux derniers jours de la guerre, il n’y avait plus sous la botte allemande qu’un pour cent du territoire français, soit 5 000 kilomètres carrés de « poches ». Quelques trous de mites sur la frange du drapeau. Autour de la poche de Saint-Nazaire, la guérilla entamée à l’automne 1944 n’avait pas connu beaucoup de répit, mais à part quelques épisodes orageux, elle avait été jusqu’ici menée à petit feu, en évitant toujours l’irréparable qui aurait pu entraîner les populations civiles dans un cycle infernal de représailles. Somme toute, c’est la présence massive de ces civils qui avait protégé les soldats des deux camps de la lutte sans merci à laquelle certains aspiraient. On comptait encore relativement peu de victimes françaises - environ un millier de civils et militaires - ce qui est encore trop mais ne peut se comparer aux 12 000 morts et blessés tombés du côté allié pendant les 45 jours du siège de Brest ou aux 20 000 victimes civiles de la bataille de Normandie dont 3 000 pour la seule journée du 6 juin 1944. Mais quel serait l’épilogue ? Le drame vécu par les populations de Royan suffirait-il à préserver Dunkerque, Lorient et Saint-Nazaire ?

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Pendant ce temps, au nord de la Loire, la guerre tournait au ralenti. Selon une routine quotidienne bien installée, les artilleurs du lieutenant Doumerc envoyaient généreusement les obus de leur Fox battery sur Guenrouet ou Quilly, tandis que les 105 et les 112 du major Caviness fendaient les airs entre le Temple-de-Bretagne et Cordemais ou Savenay, et que leur répliquaient les canons de 75 allemands de la Héridelais ou de Cordemais ou les canons de Flak de la batterie Bello, embusquée derrière Bouvron. Avec des coups de colère, comme les 20 et 21 mars 1945, sans doute pour célébrer ce dernier printemps de la guerre. Ou le 1er mai, lorsque Bello se fâcha tout rouge contre le Temple-de Bretagne pendant une demi-heure. Ou le 4 mai, vers 20 heures, lorsque les Allemands arrosèrent les lignes adverses, s’attirant la riposte de 200 obus américains. Ou même le 6 mai, à la veille de la capitulation allemande à Berlin, lorsque la grosse pièce de 240 sur rail salua une dernière fois les Français en balançant encore une quarantaine d’obus au-delà de Cordemais. Mais les combats les plus sérieux se déroulèrent le 19 avril 1945 entre trois bataillons du 262ème régiment d’infanterie de la 66ème DIUS et les intraitables paras du colonel Deffner retranchés entre l’Isac et Bouvron, dans les villages dévastés de Fession et de la Cavelais. Pour préparer cette incursion en profondeur dans le dispositif allemand, on venait de l’arroser depuis trois jours d’obus au phosphore. Les Américains avancèrent avant l’aube en se protégeant par des tirs d’obus fumigènes, mais…

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On allait enfin dévisager cet ennemi qui venait de nous voler neuf mois de notre jeunesse et la vie de combien de compagnons ! Mais encore une fois, Junck se faisait un peu tirer l’oreille, car, parvenu à Bouvron vers 10 h, on apprendrait plus tard qu’il avait fait stopper son convoi devant l’église pour demander son chemin à un MP ! Enfin, les trois voitures firent leur entrée à même l’hippodrome du Grand-Clos. Un correspondant de guerre décrivait ainsi le général vaincu : « En culotte de cheval à bandes amarantes, exhibant fièrement des épaulettes à torsades, le général Junck, le visage cramoisi, tête basse, le dos voûté, mâchoires serrées, la poitrine soulevée par une respiration oppressée, s’avança dans l’herbe jusqu’au ventre, devant la haie de troupes alliées, baïonnette au canon ». Le colonel Keating et le colonel Payen se portèrent à la rencontre du général Junck, de l’amiral Mathies et du colonel Deffner, puis les deux colonels alliés accompagnèrent les trois chefs allemands vers l’ultime acte symbolique de la reddition au cours duquel…

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On vit arriver devant l’église une cinquantaine de prisonniers allemands que l’on installa, face au presbytère, dans un rustique camp de tentes cerné de barbelés. Dès le lendemain, on les dirigea vers des travaux de déminage, nettoyage ou comblement de tranchées. Puis, au fil des jours, dans une étrange promiscuité, le bourg retrouva peu à peu ses habitants qui ouvraient leurs volets, débarraient les fenêtres, se congratulaient ou pleuraient selon l’état de leurs biens, reprenaient possession des rues, des cours, des magasins et des cafés… et croisaient encore des Allemands dans leurs va-et-vient vers les chantiers. Ces hommes à la veste vague et sans calot, étaient gardés par un ancien gendarme et des retraités traînant la patte… « Allez, grand-père ! C’est l’heure de nous emmener au boulot » ! disait un soldat à l’un de ses gardes peinant à se mettre en route. Un soir, la colonne rentra tête basse : un prisonnier avait sauté sur les mines… Puis un autre, et un troisième, en labourant les parcelles minées du secteur de la Roulais. Aux cinq tentes déjà installées, il fallut bientôt en ajouter huit autres pour accueillir un autre groupe. Étrange spectacle de ces hommes dont on avait encore peur la veille et qui désormais, privés de toute intimité, dormaient à même le sol, lavaient leur corps et leur linge sous vos yeux et priaient le ciel de ne pas finir déchiquetés par les mines comme leurs compagnons déjà enterrés au cimetière… La phase de recherche n’était pas la plus spectaculaire ni la plus dangereuse ; les gardiens se tenaient à distance, mitraillette braquée sur les équipes avançant en ligne à travers les zones dangereuses et enfonçant leur baïonnette en biais. Puis, une fois le nettoyage terminé, les prisonniers étaient contraints, bras dessus, bras dessous, de piétiner lourdement le terrain de part en part, au cas où… Parvenus en lisière, on les laissait souffler quelques minutes, puis on les renvoyait dans l’autre sens, tremblants et en larmes !

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Une guerre de sept ans
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La catastrophe du Boivre
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